Pourquoi le marché africain est-il sous notre radar?

Pourquoi le marché africain est-il sous notre radar?

ANALYSE GÉOPOLITIQUE.

Diversification. Ce mot est sur toutes les lèvres depuis que Donald Trump menace d’imposer des tarifs de 25% sur la plupart des importations canadiennes aux États-Unis. On évoque l’Europe, l’Asie, l’Amérique latine, mais pas l’Afrique. Pourquoi?

Si le continent africain est risqué, il offre en revanche d’innombrables occasions d’affaires pour les entreprises canadiennes, affirment trois spécialistes de l’Afrique interviewés par Les Affaires.

Actuellement, les entreprises québécoises sont relativement peu présentes en Afrique, alors que plusieurs entreprises non africaines brassent des affaires sur ce continent qui compte 54 pays et 1,5 milliard d’habitants.

«Outre les Chinois, les Indiens sont très présents en Afrique, tout comme les Sud-Coréens, les Japonais, les Iraniens, sans parler de la Turquie, qui est presque devenue une puissance africaine», dit Jean-Louis Roy, joint à Addis-Abeba, la capitale de l’Éthiopie et siège de l’Union africaine.

L’Éthiopie, un pays de 128 millions d’habitants, figure d’ailleurs parmi les dix plus importantes économies du continent, avec le Maroc, l’Algérie, l’Égypte, la Côte-d’Ivoire, le Nigeria, le Kenya, la Tanzanie, l’Angola et l’Afrique du Sud.«J’annoncerai des droits de douane sur l’acier lundi. (…) Tout l’acier arrivant aux États-Unis aura 25% de droits de douane», a déclaré le chef de l’État dans l’avion présidentiel qui le menait à la Nouvelle-Orléans pour assister au Super Bowl, la finale de la Ligue professionnelle de football américain.

Le milliardaire républicain a ajouté que le même sort serait réservé à l’aluminium importé.Lors de son premier mandat (2017-21), Donald Trump avait déjà imposé des droits de douane sur l’acier et l’aluminium afin de protéger l’industrie américaine qu’il estimait être confrontée à une concurrence déloyale en provenance de pays asiatiques et européens.

Donald Trump a aussi affirmé dimanche qu’il annoncerait «mardi ou mercredi» des «droits de douane réciproques», afin d’aligner la taxation des produits entrant aux États-Unis sur la manière dont sont taxés les produits américains à l’étranger.« S’ils nous taxent à 130% et que nous ne les taxons pas, cela ne restera pas comme ça », a-t-il lancé.« Cela n’affectera pas tous les pays parce que certains imposent les mêmes droits de douane que nous. Mais ceux qui profitent des États-Unis se verront rendre la pareille », a-t-il ajouté.

« Ils nous taxent, on les taxe », avait déjà esquissé le président vendredi, lors d’une conférence de presse avec le premier ministre japonais Shigeru Ishiba.Depuis son investiture le 20 janvier, les droits de douane sont au cœur de la politique économique et diplomatique de Donald Trump: ils sont présentés autant comme un moyen de résorber le déficit commercial des États-Unis que d’obtenir des concessions des pays visés.

Depuis mardi, les produits venant de Chine sont renchéris par des droits de douane additionnels de 10% — mesure à laquelle Pékin va répliquer par des surtaxes ciblées sur certains produits américains à partir du 10 février. Les nouvelles taxes chinoises portent sur 14 milliards de dollars américains (G$US) de biens américains, tandis que les droits de douane annoncés par Donald Trump concernent 525G$US de biens chinois.

« Être prêts ».

Les exportations du Mexique et du Canada vers les Etats-Unis devaient aussi initialement se voir infliger des droits de douane (de 25%) en dépit d’un accord de libre-échange liant les trois pays d’Amérique du Nord. Mais Donald Trump, qui reproche à ses deux voisins de ne pas en faire assez pour juguler le trafic de drogue, leur a accordé à la dernière minute un sursis d’un mois après avoir reçu des engagements sur le renforcement de la sécurité aux frontières.

L’offensive sur les droits de douane a donné lieu à d’autres rebondissements, comme le report d’une taxation sur des colis d’une valeur de moins de 800 dollars venant de Chine. L’Union européenne se sait dans la ligne de mire de Donald Trump, qui avait indiqué qu’il prendrait une décision « très bientôt » la concernant.Lors d’une interview diffusée dimanche par la chaîne américaine CNN, le président français Emmanuel Macron a déclaré que les Européens devaient « être prêts (…) à réagir » à de nouvelles barrières douanières.

M. Macron a également mis en garde contre les conséquences d’une telle mesure pour les Américains: «Si vous imposez des droits de douane sur plusieurs secteurs, cela entraînera une augmentation des prix et créera de l’inflation aux États-Unis.»

Donald Trump et ses équipes, qui ne cessent de promettre un « nouvel âge d’or » pour les États-Unis, ont jusqu’ici largement minoré ce risque, alors que la reconquête du pouvoir d’achat était au cœur de la campagne électorale du républicain. Le déficit commercial de la première économie mondiale s’est creusé l’an dernier à près de 920G$US.

Des exportations québécoises d’à peine 1G$ en 2023.

Les exportations du Québec sont minimes en Afrique. En 2023, nos expéditions de marchandises y ont totalité 1,046 milliard de dollars canadiens (G$), selon les données de l’institut de la statistique du Québec (ISQ).C’est un peu moins qu’en Corée du Sud (1,056G$), mais un peu plus qu’en Suisse (1,036G$). Les exportations québécoises en Afrique sont même moins élevées qu’en 2019, alors qu’elles avaient atteint un record de 1,394G$.

Et on peut comprendre facilement la faiblesse des exportations de nos entreprises sur ce continent.Après tout, le vaste et riche marché américain est à nos portes, avec des expéditions de marchandises qui ont totalité 87,3G$ en 2023. De plus, le Canada a 16 accords de libre-échange avec des pays ou avec des regroupements de pays, dont le Mexique, l’Union européenne, le Royaume-Uni, le Japon et la Corée du Sud.

Bref, nous avions l’embarras du choix, sans trop devoir nous casser la tête pour vendre nos produits.Or, l’élection de Donald Trump et ses guerres commerciales tous azimuts viennent de changer la donne pour au moins quatre ans. Sans tourner le dos aux États-Unis, il faut absolument trouver d’autres débouchés pour nos produits. Dans ce contexte, l’Afrique est une alternative intéressante, mais sous notre radar.Non seulement la population y est très jeune, mais elle devrait passer de 1,5 à 2,5 milliards d’habitants d’ici 2050, selon les estimations de l’Organisation des Nations unies (ONU).

Portrait of industrial engineer. Smiling factory worker standing in factory production line.

En moyenne, cela représente 40 millions de personnes par année pendant 25 ans.Ou l’équivalent de l’ajout d’un Canada par année durant 25 ans!Des besoins immenses à combler dans tous les secteursNul besoin d’avoir une grosse boule de cristal pour comprendre que les besoins à combler seront innombrables, et ce, de l’habitation à l’alimentation en passant par l’éducation, l’énergie, les infrastructures, les biens de consommation et les services.C’est sans parler des entreprises manufacturières africaines, qui doivent se doter de nouvelles technologies afin de poursuivre leur croissance.

Par exemple, dans l’Afrique subsaharienne, l’industrie représente déjà 8,5% du PIB de cette partie du continent africain, selon Landry Signé, fellow à l’Institut Brookings, à Washington, et auteur de Africa’s Fourth Industrial Revolution (Cambridge University Press, 2023).

Deux autres statistiques partagées par Landry Signé, en entrevue avec Les Affaires en octobre 2023, donnent aussi une idée des changements économiques qui s’opèrent en Afrique, mais qui ne font pas les manchettes au Québec.Dépenses privées (entreprises et ménages): elles augmentent vite.

En 2030, elles devraient atteindre 6 700G$US (9 579G$), soit plus que la taille actuelle du PIB du Japon (4 110G$US en 2024, ou 5 876G$).

Urbanisation: elle progresse rapidement.

En 2015, l’Afrique comptait six villes de plus de 5 millions d’habitants. En 2030, on devrait en compter 17, dont cinq villes de 10 millions d’habitants et plus.Marie Hélène Sultan, dont le bureau à Abidjan aide les entreprises québécoises à faire des affaires en Afrique de l’Ouest, affirme que plusieurs secteurs économiques peuvent être intéressants pour le Québec sur ce continent.Elle mentionne le secteur des ressources naturelles, incluant l’extraction minière, l’agroalimentaire, l’environnement et les technologies vertes, sans parler des technologies de l’information et la transformation numérique des entreprises.

«On joue un rôle clé pour accompagner des entreprises québécoises et ouvrir des portes», souligne-t-elle.

Sur le continent africain, le Québec à deux autres représentations: un bureau à Rabat, au Maroc, et une délégation générale à Dakar, au Sénégal — une délégation générale offre plus de services qu’un bureau.

Le marché africain est vaste, avec des cultures d’affaires et des niveaux de développement économique très différents. Aussi, il est important de savoir dans quel type de marché une entreprise veut vendre ses biens ou ses services, souligne Abdelhamid Benhmade.

«Il y a des pays dont la croissance économique s’appuie sur la croissance de leur population, comme le Nigeria. Mais il y a aussi des pays dont la croissance économique repose sur la croissance des revenus de leurs citoyens, comme l’Afrique du Sud et le Maroc», explique-t-il.

C’est sans parler du type de consommateurs que l’on vise: des personnes ou des entreprises?

Par ailleurs, Abdelhamid Benhmade fait remarquer qu’une entreprise peut aussi produire en Afrique pour vendre uniquement sur le marché africain. Mais elle peut aussi faire une pierre deux coups pour vendre à la fois en Afrique et en Europe.

Dans ce cas, à ses yeux, une implantation au Maroc peut être intéressante. Ce pays francophone de 38 millions d’habitants abrite des entreprises des secteurs de l’automobile et de l’aérospatiale, qui vendent une partie de leur production en Europe.

Plusieurs risques d’affaires et politiques.

Si l’Afrique regorge d’innombrables occasions d’affaires, les entreprises qui veulent y vendre leurs produits ou leurs services sont aussi confrontées à des risques d’affaires et politique importants.

Par exemple, depuis 2019, il y a eu sept coups d’État en Afrique (au Soudan, au Tchad, au Niger, au Mali, au Burkina Fasso, en Guinée et au Gabon), surtout concentrés dans le Sahel, la région désertique qui sépare l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne.

Il y a aussi plusieurs risques d’affaires pour les entreprises canadiennes en Afrique, selon diverses sources que nous avons consultées (l’Associated Press, Exportation et développement Canada, le Conseil canadien des affaires, Reuters, Options politiques et le gouvernement du Canada):

-Instabilité politique et gouvernance

-Risques économiques et financiers

-Corruption et pratiques commerciales non éthiques

-Risques liés aux infrastructures.

-Risques sociaux et environnementaux.

En entrevue, nos trois spécialistes ont souligné que les risques en Afrique dépendaient bien entendu du pays dans lequel on fait des affaires. Ils conseillent d’ailleurs de bien s’informer auprès des sociétés d’État, comme Investissement Québec International ou EDC.

Il y a plusieurs raisons d’espérer pour les années à venir en Afrique, fait remarquer Jean-Louis Roy.

source: LES AFFAIRES

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