Les États-Unis rétablissent le dialogue avec les talibans en Afghanistan.

Qui pourrait croire à ce spectaculaire retournement de situation aussi tôt et surtout avec un personnage aussi impulsif comme Donald Trump ? Après avoir engagé la plus longue guerre de son histoire -sous le vocable de la lutte contre le terrorisme-, contre les talibans en Afghanistan, Washington vient de renouer le dialogue avec son ennemi juré qu’il accusait d’avoir perpétré les terrifiants attentats du 11 septembre 2001. Un ennemi occupant aujourd’hui le pouvoir à Kaboul après le fiasco d’une coalition militaire occidentale conduite par les Etats unis, et devenu subitement un partenaire stratégique en Asie. La Maison Blanche opère ce rapprochement dans une logique, entre autres, de contrer l’influence de ses rivaux notamment la Russie et la Chine. L’administration Trump compte également obtenir coûte que coûte la libéralisation des citoyens américains gardés en otage en Afghanistan et récupérer un important arsenal militaire d’une valeur de sept milliards de dollar délaissé après la fuite des GI’s. Le réalisme a pris le dessus sur la logique de puissance.
Quatre ans après leur dernier affrontement, Washington prend langue avec les Talibans installés au pouvoir à Kaboul. Washington ne veut pas laisser l’Afghanistan seul sous l’influence de ses rivaux notamment la Russie et la Chine.
L’on se rappelle comme hier de la débâcle des américains en Afghanistan en 2021. Le dernier soldat américain quittait Kaboul à l’issue d’un retrait mal négocié par l’administration Biden. Aussitôt les américains quittaient Kaboul que les Talibans s’emparaient du pouvoir politique et administrent aujourd’hui le pays selon leur vision.
Mais avant le retrait total américain, les « moudjahidines » ont perpétré un attentat qui a tué 85 personnes, dont 13 militaires américains. Ce départ précipité mettait fin à la plus longue guerre de l’histoire des États-Unis. Rappelons qu’en juillet 2023, les Américains avaient eu une discrète rencontre avec les talibans au Qatar, alors qu’ils ont toujours refusé de reconnaître formellement leur pouvoir établi à Kaboul. Depuis lors, Washington n’avait plus entretenu le moindre contact officiel avec les hommes forts de Kaboul. Jusque-là, Washington passait par le Qatar pour gérer et défendre ses intérêts en Afghanistan. C’est d’ailleurs avec le soutien du Qatar que Washington a obtenu la libération du citoyen américain de George Glezmann détenu par les talibans durant 836 jours.
Une libération que le secrétaire d’État des Etats-Unis Marco Rubio saluait le 20 mars dernier, en ces termes : « La libération de George est une étape positive et constructive ».
Evidemment un signal positif envoyé aux anciens ennemis devenus fréquentables. Une posture que les Talibans comptent tirer le maximum de profit pour renforcer leur légitimité vis-à-vis de la communauté internationale. Récemment revenu au pouvoir, Donald Trump a également choisi de traiter directement avec les talibans dans le but premier d’obtenir la libération de tous les citoyens américains retenus en otage sur place, même si des observateurs estiment que ce rapprochement cache bien d’autres enjeux plus vastes.
Quelques jours plus après la libération du premier otage, l’administration Trump a rayé les noms de trois hauts responsables talibans de la liste des personnes figurant sur le programme « Rewards for Justice » qui propose et offre d’importantes sommes d’argent en échange d’informations permettant la capture d’individus recherchés pour faits de terrorisme. Il s’agit de Sirajuddin Haqqani, Yahya Haqqani et Aziz Aqqani. Ils sont tous les trois membres du réseau Haqqani qui, depuis la reprise du pouvoir par les talibans à Kaboul, a abandonné le statut de simple réseau djihadiste tribal pour devenir l’un des réseaux terroristes les plus puissants de la région à cause notamment de son influence politique.
Pourtant, ce réseau est toujours considéré par Washington comme une organisation terroriste qui est impliqué dans de nombreux attentats ayant visé les soldats américains pendant la guerre. Cette décision de l’administration Trump est considérée dans certains cercles comme une victoire par les talibans. Pire, d’aucuns s’interrogent sur les conséquences de ce choix d’un point de vue sécuritaire surtout qu’un rapport de l’ONU démontrait l’implication du réseau Haqqani dans de nombreux attentats depuis 2020, dont certains avaient ciblé les forces de l’OTAN.
Ces révélations et inquiétudes semblent être des détails aux yeux de l’administration Trump qui compte libérer ses sept compatriotes, dont un est décédé, restant. Aussi, la Maison Blanche veut récupérer l’arsenal d’une valeur de sept milliards abandonné par l’armée américaine lors du retrait et pris par les combattants talibans. Ces armes sont essentiellement constituées de drones, de véhicules blindés ou encore d’armes lourdes de différents calibres.
Contrer l’influence russe, chinoise, irannienne…
La Maison Blanche est bien consciente des incursions diplomatiques et de l’influence de ses rivaux dans la région qui opèrent également un rapprochement stratégique avec les Talibans et ne voudrait pas se voir définitivement éjectée. Si aucun pays n’a encore formellement reconnu leur gouvernement, plusieurs d’entre eux ont déjà entamé des manœuvres de différentes natures visant à entrer en contact avec celui-ci. C’est le cas de la Chine qui envisagerait la construction de trois entrepôts dans autant de régions différentes d’Afghanistan, selon le porte-parole du ministère de l’Agriculture, Misbahuddin Mustaeen. Les talibans pourraient ainsi contourner l’isolement géopolitique et économique dont ils font l’objet en conséquence, notamment des sanctions prises par les États-Unis à leur encontre.
Bien d’autres acteurs, tels que la Russie ou encore l’Iran, ont manifesté des signaux de rapprochement des talibans. La Russie qui était en relation avec les talibans depuis 2015, a déjà reçu leur délégation à l’occasion du Forum économique international de Saint-Pétersbourg en 2022 et 2024.
La Russie, qui a notamment exporté 275 000 tonnes de gaz de pétrole liquéfiés en Afghanistan en 2024 pour un montant total de 132 millions de dollars, envisage aussi une coopération sur le plan sécuritaire dans le but d’éradiquer la branche afghane de l’Etat islamique connu sous le nom d’ISKP (Islamic State of Khorasan Province). Ce groupe armé avait en effet revendiqué les attentats de mars 2024 ayant fait 133 victimes à Moscou. Dans une de ses décisions, la Cour Suprême Russe a retiré les talibans de la liste des organisations terroristes sur laquelle ils figuraient depuis 2003. Cette victoire diplomatique incontestable pour les maîtres de Kaboul s’inscrit dans l’optique du rapprochement souhaité par Moscou.
Un rapprochement contre l’Etat islamique.
Washington et les talibans considèrent l’ISKP comme une menace commune contre laquelle ils envisageraient de lutter ensemble. Ce groupe cause également des dégâts en Occident du fait des attentats perpétrés par ceux que l’on appelle des « loups solitaires ». Ce fut le cas lors de l’attentat du jour de l’an à la Nouvelle-Orléans quand le terroriste Shamsud-Din Jabbar fonça dans la foule avec son pick-up, faisant 14 victimes.
Hamidou TRAORE, Journaliste indépendant
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